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Marseille littéraire

Il y a différentes façons d'approcher Marseille : de sa fenêtre, d'une bibliothèque ou dans la littérature... Et découvrir une ville à partir d'extraits littéraires donne un regard différent, plus humain et pas toujours flatteur, comme Zola par exemple nous la présente.

Marseille, c'est le fruit de 2600 ans de légendes et d'écrits.

D'Hérodote à Tahar Ben Jelloun combien de siècles ? combien d'ouvrages ont évoqué Marseille?

A Marseille on pense tout connaître, mais quels regards la littérature sur Marseille nous renvoie-t- elle ?

Les quelques extraits, figurant ci joint dessous, soulignent quels regards les hommes ont porté sur ce port, cette porte ouverte sur la Méditerranée, sur l'Europe. Chacun de ces écrivains nous apportent quelques unes des clefs qui font de Marseille une ville si attachante, qui ne cache rien...

Anonyme (1721), avec son orthographe tout personnel, nous raconte l'arrivée de la peste à Marseille..

"Au commencemant du mois de juin 1720, est arrivé un vesseau de cette ville, cappitaine Chatau, venant de Seide, chargé de marchandises ajant sa patente nete. On y a supposé quy stoit fause, et pandant sa route, les mort 2 homme dans son bort, et en fesant sa deposition isy a son arrivée, a deposé que ces hommes etoins morts de fièvres et non de peste; et ce dit vesseau appartenoit à M. Estelle, quy etoit pour lors echevins de cette ville, priant messieurs les intendans de la santé de le luy pas fait fair longur purge a cause que la foire de Beaucaire s'approchoit, pour avoir le temps de porter les marchandises à la foire; messieurs les intendans fasille et complesant dobeir à une estoille, au prejudise dun royaume, donna dont lantrée audit vesseau avant la puge finie.

Deux jours après son antrée, est mort un mousse de la peste, landemain M. Bouillo, lecrivain, du meme mal; les ous portés de nuit aux infirmerie pour les ensevelirs, et memes tous ceux de leur maison; et on farme les maisons, on fait prandre le susdit Chatau cappitaine et matelots du susdit vesseau; mais la plus grande partie dudit équipage s'y sont cachés dans des maisons inconnues, nonostant un peu de matelots quy ont trouvé, on amené ledit vaisseau vesseau en Jarrot, et toutes les marchandises quavoins aporté, et ledit capp. dans le chateau dif, par ordre de M le gouverneur de la ville.

Quelque jours jours après est veneu un odre de la cour de brulé ledit vesseau avec toutes les marchandises."

Paul Arène (1843-1896)

"Hélas, on n'ira pas dans les collines couleur d'améthyste et de reine-claude, dont le silence n'est troublé que par le coup de feu mélancolique et rare d'un chasseur au poste, se rouler, ivres de l'ivresse doucement sommeillante de l'aïoli, haschich enfantin, entre les cistes et les myrtes, sur le tapis feutré et balsamique des fines aiguilles de pin.

On n'ira pas non plus, quoique je te l'eusse solennellement promis, O mon vieil ami Isoard Pipe, le dernier des purs marseillais, manger la classique bouillabaisse dans ton cabanon d'Endoume, un peu haut perché peut être, un peu serré entre les cubes bleu tendre et jaune vif des cabanons voisins, mais si bien à l'abri du mistral et d'un site si admirablement choisi, qu'aucun bateau, depuis le Nego Chin, qui s'en va jeter ses filets autour du Château d'If ou de Planier jusqu'au fier paquebot qui fait les voyages lointains des Indes et de l'Indochine, ne peut se dispenser de passer sous le feu de notre lunette d'approche..."

Simone de Beauvoir (1908-1986)



"Je me rappelle mon arrivée à Marseille comme si elle avait marqué dans mon histoire un tournant absolument neuf.

J'avais laissé ma valise à la consigne et je m'immobilisai en haut du grand escalier. "Marseille", me disais je. Sous le ciel bleu, des tuiles ensoleillées, des trous d'ombre, des platanes couleur d'automne; au loin des collines et le bleu de la mer; une rumeur montait de la ville, avec une odeur d'herbes brûlées et des gens allaient, venaient aux creux des rues noires. Marseille. (...)

J'eus le coup de foudre. Je grimpai sur toutes ces rocailles, je rodai dans toutes ces ruelles, je respirai le goudron et les oursins du Vieux Port, je me mêlai aux foules de la Canebière, je m'assis dans les allées,dans des jardins, sur des cours paisibles où la provinciale odeur des feuilles mortes étouffait celle du vent marin. J'aimais les tramways brinquebalants, où s'accrochaient des grappes humaines, et les noms inscrits à leur front : la Madrague, Mazargue, les Chartreux, Endoume, le Roucas Blanc."

Tahar Ben Jelloun (1944 - )



"Marseille est un énigme, une maison avec plusieurs portes et fenêtres toujours ouvertes. Quand un cheval entre dans la cour de cette maison il tourne en rond jusqu'à la folie et la chute. Dans sa crinière une araignée a tissé sa cage. Un jour une fenêtre s'est déplacée jusqu'à la mer. Un peintre qui passait par là s'arrêta et ferma les yeux le temps pour l'image de s'imprimer. Avec toutes ces ouvertures, ces écrans levés au dessus de la Méditerranée et ces maisons de pierre les unes sur les autres, le vent s'ennuie, la lumière se perd et la ville sombre dans une grande fatigue. Etre à ce point bousculée par des mains, des regards et des songes venus du Sud, fait de la ville un malentendu. Certes le cheval s'est trompé de cimetière et la Méditerranée a été complaisante avec l'Histoire. Calme et sereine, la mer assiste - en toute impunité - au déménagement des hommes. Car Marseille est une migraine que ravivent le vent et l'exode. L'exode. L'exil et le labeur. Mais aussi le formica du rêve étroit. Les langues parlées mais pas entendues."

Casanova (1725-1798)



"Il n'y a pas de ville en France où le libertinage des filles soit poussé plus loin qu'à Marseille. Non seulement elles se piquent de ne rien refuser; mais elles sont les premières à offrir à l'homme ce que l'homme n'ose pas toujours demander. Elle me montra une répétition, dont elle avait fait une loterie à douze francs le billet, et elle m'en offrit un, me disant qu'elle en avait encore dix. Je les ai pris tous les dix, je lui ai donné cinq louis, puis je lui ai fait présent des billets. Elle vint l'embrasser disant à son chevalier que je le ferai cocu quand je voudrais. Il lui répondit qu'il en était très content. Il me pria à souper avec elle, et j'ai accepté par politesse; mais après le souper le seul plaisir que je me suis procuré fut celui de voir le chevalier au lit avec elle, lui rendre ses devoirs...."

Blaise Cendrars (1887-1961)



"Marseille est une ville selon mon cœur. (...) Ce n'est pas une ville d'architecture, de religion, de belles-lettres, d'académie ou de beaux arts. Ce n'est point le produit de l'histoire, de l'anthropogéographie, de l'économie politique ou de la politique, royale ou républicaine. Aujourd'hui elle paraît embourgeoisée et populacière. Elle a l'air bon enfant et rigolarde. Elle est sale et mal foutue. Mais c'est néanmoins une des villes les plus mystérieuses du monde et des plus difficiles à déchiffrer."

Cicéron (106 - 43 av JC)



"Et je n'ai garde de t'oublier, Marseille, toi qui connut L Flaccus tribun militaire et questeur; car cette cité, pour ces institutions politiques, et sa sagesse, mérite d'être préférée - je puis le dire à bon droit - non seulement à la Grèce, mais peut être à toutes les autres nations, elle qui, dans un si grand éloignement de tous les pays habités par les Grecs, séparée de leurs coutumes et de leur langue, située à l'extrémité de l'univers, environnée de nations gauloises et comme battue des flots de la barbarie, est si bien gouvernée par la sagesse de ses notables qu'il serait plus facile à tous de louer ses institutions que de rivaliser avec elles..."

Albert Cohen (1895-1981)

"Soudain je me rappelle notre arrivée à Marseille. J'avais cinq ans. En descendant du bateau, accroché à la jupe de Maman coiffée d'un canotier orné de cerises, je fus effrayé par les trams, ces voitures qui marchaient toutes seules. Je me rassurais en pensant qu'un cheval devait être caché dedans.

Nous ne connaissions personne à Marseille où, de notre île grecque de Corfou, nous avions débarqué comme en rêve, mon père, ma mère et moi. Pourquoi Marseille...? Le chef de l'expédition lui même n'en savait rien. Il avait entendu dire que Marseille était une grande ville. La première action d'éclat de mon pauvre père fut, quelques jours après notre arrivée, de se faire escroquer par un homme d'affaires tout blond et dont le nez n'était pas crochu. Je revois les parents qui pleuraient dans la chambre d'hôtel, assis sur le rebord du lit. Les larmes de Maman tombaient sur le canotiers à cerises, posé sur ses genoux. je pleurais aussi, sans comprendre ce qui était arrivé. (...)

J'avais quitté les petites rues et je flottais solitairement le long de la Canebière, me parlant à moi même, me donnant de courageux et sensés conseils, et me faisant des gestes de réconfort dans la large rue vivante en cet après midi ensoleillée, rue bruissante de grands cafés dont les terrasses absinthées fourmillaient de centaines qui gesticulaient avec bonheur et me considéraient malveillamment et échangeaient des sourires significatifs. Tous ils se retournaient et ils se signalaient les uns les autres que le Juif était là et gare, fermez vos portes à double tour ! Je reconnaissais tous ces gens, c'étaient ceux du camelot. Oh, qu'ils étaient heureux, ces méchants, oh, qu'ils étaient méchants, ces heureux ! ..."

Alexandre Dumas (1802-1870)



"Le port de Marseille est le plus curieux que j'aie vu, non pas à cause de son panorama, qui s'étend de Notre Dame de la Garde à la tour Saint Jean, non pas à cause de ses colibris, de ses perroquets et de ses singes, qui, sous ce beau ciel méridional, se croient encore dans leur patrie, et font du chant, de la voix et du geste, mille gentillesses à ceux qui passent, mais parce que le port de Marseille est le rendez vous du monde entier : on n'y rencontre pas deux personnes vêtues de la même manière, on n'y rencontre pas deux hommes parlant la même langue..."

Alphonse Daudet (1840-1897)



"Le 1er décembre 1861, à l'heure de midi, par un soleil d'hiver provençal, un temps clair, luisant, splendide, les Marseillais effarés virent déboucher sur la Canebière un Teur, oh mais, un Teur ! Jamais ils n'en avaient vu un comme celui là; et pourtant, Dieu sait s'il en manque à Marseille, des Teurs !

Le Teur en question - ai je besoin de vous le dire ? -, c'était Tartarin, le grand Tartarin de Tarascon, qui s'en allait le long des quais, suivi de ses caisses d'armes, de sa pharmacie, de ses conserves, rejoindre l'embarcadère de la compagnie Touache, et le paquebot Le Zouave qui devait l'emporter là-bas.

L'oreille encore pleine des applaudissements tarasconnais, grisé par la lumière du ciel, l'odeur de la mer, Tartarin, rayonnant, marchait, ses fusils sur l'épaule, la tête haute, regardant de tous ses yeux ce merveilleux port de Marseille qu'il voyait pour la première fois et qui l'éblouissait.... Le pauvre homme croyait rêver. Il lui semblait qu'il s'appelait Sinbad le Marin, et qu'il errait dans une de ces villes fantastiques comme il y en a dans les Mille et Une Nuits.

C'était à perte de vue un fouillis de mâts, de vergues, se croisant dans tous les sens. Pavillons de tous les pays, russes, grecs, suédois, tunisiens, américains...

Les navires au ras du quai, les beauprés arrivant sur la berge comme des rangées de baïonnettes. Au dessous les naïades, les déesses, les saintes vierges et autres sculptures de bois peint qui donnent le nom du vaisseau; tout cela mangé par l'eau de mer, dévoré, ruisselant, moisi... De temps en temps, entre les navires, un morceau de mer, comme une grande moire tachée d'huile... Dans l'enchevêtrement des vergues, des nuées de mouettes faisant de jolies taches sur le ciel bleu, des mousses qui s'appelaient dans toutes les langues."

Roland Dorgeles (1885-1973)



"A l'automne, j'avais regagné Marseille. L'air d'insouciance qu'on y respirait eut vite fait de me ranimer. Etait ce l'effet du bienfaisant soleil, ou du mistral qui chassait le brouillard, ou du vacarme qui empêche de trop réfléchir, les habitants n'avaient vraiment pas des mines de vaincus. Les trottoirs, les bars, les boutiques regorgeaient; on s'écrasait aux portes des cinémas et les joueurs de pétanque lançaient toujours la boule avec le même entrain. Ces favorisés n'avaient pas vécu les semaines d'angoisse de l'offensive, pas guetté dans le ciel le vol des avions à croix noires, ni frémi à l'approche des chars; ils n'avaient pas assisté à l'affreux défilé des troupes en retraite et des populations épouvantées, alors ils ne croyaient pas tellement aux récits effrayants que leur faisaient les gens du Nord. Ils ne semblaient non plus pas comprendre que nous entrions dans un temps de misère. Les entrepôts fermaient, les navires désarmaient, pourtant les dockers en bleu de chauffe continuaient à courir après le tramway comme s'ils étaient sûr de trouver de l'embauche et d'être payés le samedi et leurs femmes faisaient la queue à la porte de l'épicerie sans songer que dans huit jours on leur couperait le crédit."

Flaubert (1821-1880)



"Marseille est une jolie ville, bâtie de grandes maisons qui ont l'air de palais. Le soleil, le grand air du Midi entrent librement dans ses longues rues; on y sent je ne sais quoi d'oriental, on y marche à l'aise, on respire content, la peau se dilate et hume le soleil comme un grand bain de lumière. Marseille est maintenant ce que devait être la Perse dans l'antiquité, Alexandrie au moyen âge : un capharnaüm, une babel de toutes les nations, où l'on voit des cheveux blonds, ras, de grandes barbes noires, la peau blanche rayée de veines bleues, le teint olivâtre de l'Asie, des yeux bleus, des regards noirs, tous les costumes, la veste, le manteau, le drap, la toile, la collerette rabattue des Anglais, le turban et les larges pantalons des Turcs. Vous entendez parler cent langues inconnues, le slave, le sanscrit, le persan, le scythe, l'égyptien, tous les idiomes, ceux qu'on parle au pays des neiges, ceux qu'on soupire dans les terres du Sud. (....)

Nous avons pris une de ces petites barques couvertes de tentes carrées, avec des franges blanches et rouges, et nous nous sommes fait descendre de l'autre coté du port où il y a des marchands, des voiliers, des vendeurs de toute espèce. Nous sommes entrés dans une de ces boutiques pour y acheter des pipes turques, des sandales, des cannes d'agavé, toutes ces babioles étalées sous des vitres, venues de Smyrne, d'Alexandrie, de Constantinople, qui exhalent pour l'homme à l'imagination complaisante tous les parfums d'Orient, les images de la vie de sérail, les caravanes cheminant au désert, les grandes citées ensevelies dans le sable, les clairs de lune sur le Bosphore...()

Si j'ai maudit les bains de Bordeaux, je bénis ceux de Marseille. Quand j'y fus, c'était le soir, au soleil couchant; il y avait peu de monde, j'avais toute la mer pour moi. Le grand calme qu'il faisait est des plus agréable pour nager, et le flot vous berce tout doucement avec un grand charme.

Jean GIONO 1895 1970



"Enfin il y a les fougasses. C'est encore maintenant pour moi le meilleur dessert du monde. Spécifiquement provençal celui là. Mieux ; je le soupçonne d'être grec. Longtemps, j'ai imaginé Ulysse, Achille et même Ménélas nourris de fougasses à l'huile. Il n'y a qu'à Hélène que j'en refuse : elle ne devait pas apprécier cette simplicité. Par contre, je suis sûr qu'Oedipe en a fait ses dimanches. C'est tout bêtement une galette de pâte à pain, longue et plate (à peine épaisse de deux centimètres) qu'on saupoudre abondamment de sucre en poudre et qu'on arrose (non moins abondamment) d'huile vierge nouvelle. Le tout va au four du boulanger et en sort bosselé et doré comme la cuirasse de Bradamante et répandant une odeur exquise. Exquise et lyrique. Pas petitement exquise comme l'odeur du réséda mais exquise avec violence et excès. Une énorme présence au soleil. Si je trouve aux moules marinières l'odeur même de l'Odyssée, la fougasse à l'huile sent l'Iliade, ou, plus exactement, le camp des Grecs."

Ernest Hemingway (1899-1961)



"De la fumée sortait un peu de partout des hautes cheminées; à l'entrée de Marseille, le tain ralentit et suivit une voie parmi l'enchevêtrement des rails qui menaient à la gare. Il s'arrêta vingt cinq minutes à Marseille et l'Américaine acheta le Daily Mail et une demi bouteille d'eau d'Evian. Elle se promena un peu sur le quai, mais sans trop s'éloigner du wagon, car, à Cannes, où il avait douze minutes d'arrêt, le train était parti sans le coup de sifflet rituel, et elle n'avait eu que le temps de monter. L'Américaine était un peu sourde et avait peur de ne pas entendre le coup de sifflet du départ.

Le train quitta la gare de Marseille avec ses voies de triage et ses cheminées d'usines, laissant derrière lui les derniers rayons de soleil sur l'eau, la ville, et le port entourés de collines rocailleuses."

Jean Marie Le Clezio (1940 - )



"Tout le monde connaît plus ou moins tout le monde, ici, au Panier. Ce n'est pas comme dans le reste de la ville, où il y a des flots d'hommes et de femmes qui coulent dans les avenues, en faisant un grand bruit de moteurs et de chaussures. Ici, au Panier, les rues sont courtes, elles tournent, elles débouchent sur d'autres rues, sur des ruelles, des passages, des escaliers, et ça ressemble plutôt à un grand appartement avec des couloirs et des pièces qui s'emboitent les unes dans les autres."

Claude Levi Strauss (1908- 2009)



"...le hasard de la retraite avait voulu que je fusse démobilisé, et je m'en allai trainer à Marseille; là, des conversations de port m'apprirent qu'un bateau devait bientôt partir pour la Martinique. De dock en dock, d'officine en officine, je sus finalement que le bateau en question appartenait à la même Compagnie des Transports Maritimes dont la mission universitaire au Brésil avait constitué, pendant toutes les années précédentes, une clientèle fidèle et très exclusive. Par une bise hivernale, en février 1941, je retrouvai, dans des bureaux non chauffés et fermés au trois quarts, un fonctionnaire qui jadis venait nous saluer au nom de la Compagnie. Oui, le bateau existait, oui, il allait partir; mais il était impossible que je le prenne. Pourquoi ? Je ne me rendais pas compte; il ne pouvait pas m'expliquer,ce ne serait pas comme avant. Mais comment ? Oh, très long, très pénible, il ne pouvait même pas m'imaginer la dessus.

Le pauvre homme voyait encore en moi un ambassadeur au petit pied de la culture française; moi, je me sentais déjà gibier de camp de concentration."

Albert Londres (1884-1932)



"Ecoutez, c'est moi le port de Marseille, qui vous parle. Je suis le plus merveilleux kaléidoscope des côtes. Voici les coupées de mes bateaux. Gravissez les. Je vous ferai voir toutes les couleurs de la lumière; comment le soleil se lève et comment il se couche en des endroits lointains. Vous contemplerez de nouveaux signes dans le ciel et de nouveaux fruits sur la terre.

Montez ! Montez ! Je vous emmènerai de race en race. Vous verrez tous les Orients - le proche, le grand, l’extrême."

Guy de Maupassant (1850-1893)



"Marseille palpite sous le gai soleil d'un jour d'été. Elle semble rire, avec ses grands cafés pavoisés, ses chevaux coiffés d'un chapeau de paille comme pour une mascarade, ses gens affairés et bruyants. Elle semble grise avec son accent qui chante par les rues, son accent que tout le monde fait sonner comme par défi. Ailleurs un Marseillais amuse, et paraît une sorte d'étranger, écorchant le français; à Marseille, tous les Marseillais réunis donnent à l'accent une exagération qui prend les allures d'une farce. Tout le monde parlait comme ça, c'est trop, troun de l'air ! Marseille au soleil transpire, comme une belle fille qui manquerait de soins, car elle sent l'ail, la gueuse, et mille choses encore. Elle sent les innombrables nourritures que grignotent les Nègres, les Turcs, les Grecs, les Italiens, les Maltais, les Espagnols, les Anglais, les Corses, et les Marseillais aussi, pécaïre, couchés, assis, roulés, vautrés sur les quais."

Charles Maurras (1868-1952)



"Marseille vous reçoit dans sa vallée immense et bruissante qui coule avec un joyeux murmure le long de la Canebière jusqu'au Vieux Port. La Canebière, dans l'eau limpide et bleue, n'est qu'une coulée de ravissantes marseillaises au port de déesse, aux yeux rieurs et qui clignent devant le soleil. En suivant cette grande artère, les poèmes d'Aubanel chantent sur le vieux port où l'on voit des barques de plaisance et le trélus, comme dit le provençal, qui est le scintillement de l'eau dans la lumière."

Michelet (1798-1874)



"Il ne lui fallut pas deux mois pour pénétrer toute la France. Il alla frapper au fond du Midi, comme par un violent écho, et Marseille répondit au Rhin. Sublime destinée de ce chant ! Il est chanté des Marseillais à l'assaut des Tuileries, il brise le trône au 10 août. On l'appelle la Marseillaise. Il est chanté à Valmy, affermit nos lignes flottantes, effraye l'aigle noir de Prusse. Et c'est encore avec ce chant que nos jeunes soldats novices gravirent le coteau de Jemmapes, franchirent les redoutes autrichiennes, frappèrent les vieilles bandes hongroises endurcies aux guerres des Turcs. Le fer ni le feu n'y pouvaient; il fallut pour briser leur courage, le chant de la liberté."

Henry de Montherlant (1896-1972)



"C'est un spectacle vil que celui des crieurs attendant l'arrivée des journaux, autour de ce kiosque, dans une période agitée. Vingt cinq gosses (sans doute la "fréquentation scolaire" n'est elle pas obligatoire à Marseille ); des petits vieux déguenillés, qui font le coup de poing avec eux,; une maritorne qui tape violemment sur la tête d'un puceron de dix ans, pour lui prendre sa place; le classique pauvre honteux, en faux col empesé, etc.... Le journal sorti, bordé de noir. Mais je suis tellement bête que d'abord, bien que prévenu, je ne compris pas : je crus que quelqu'un de la direction été décédé. Puis je vis une femme qui pleurait. Le seul humain français que j'aie vu pleurer en cette occasion. Elle "sauvait l'honneur", elle aussi, à sa manière : durant tous ces jours avant et après l'armistice, chaque fois que je levais les yeux, je voyais un rire de femme; ce rire partout allumé, épouvantable et inoubliable. (...)

Une semaine a passé, et aujourd'hui l'armistice a été signé. Le 24 juin. Pour le solstice d'été. La croix gammée, qui est la roue solaire, triomphe en une des fêtes du soleil."

Nerval (1805-1855)



"Tous les matins j'allais prendre les bains de mer au Chateau Vert, et j'apercevais de loin en nageant les îles riantes du golfe. Tous les jours aussi, je me rencontrais dans la baie azurée avec une jeune fille anglaise, dont le corps délié fendait l'eau verte auprès de moi. Cette fille des eaux, qui se nommait Octavie, vint un jour à moi toute glorieuse d'une pêche étrange qu'elle avait faite. Elle tenait dans ses mains blanches un poisson qu'elle me donna.

Je ne pus m'empêcher de sourire d'un tel présent. Cependant le choléra régnait alors dans la ville, et, pour éviter les quarantaines, je me résolus à prendre la route de terre."

Marcel Pagnol (1895-1974)



"La garrigue provençale commençait au pied même du mur de la maison. Une pente douce, couverte de kermès, descendait vers une vallée de thym, de cytise et d'aspic. Après la vallée, une petite colline et une autre vallée, à perte de vue. Toutes pareilles avec un sol aux rochers blancs, comme de la chaux, caché ça et là par des genêts, ou de grandes touffes de térébinthes aux grappes de fruits rouges et bleus. Quels spectacles et quels parfums... C'était là seulement que l'on pouvait comprendre Virgile ou Théocrite, au milieu de cette nature fruste, maigre, sèche, odorante, si pareille aux coteaux de Sicile ou aux collines de l'Arcadie..."

Thomas Platter (1574-1628)



"Minuit sonnait quand nous jetâmes l'ancre à Marseille entre les deux Isles. Plusieurs commis vinrent aussitôt prendre nos noms ainsi que celui de notre navire, et le lendemain, 11 février, quand au jour levé on tira la chaîne fermant l'entrée du port, qui est tendue entre la tour Saint Jean et le château situé en vis à vis, qu'on appelle Fort, nous accostâmes au pied d'un escalier, où d'autres commis vinrent une fois de plus nous questionner et nous inspecter avant de nous mener chez le consul..."

Queffélec (1949 _ )



"Momo roulait au pas tous feux éteints, les mains crispées sur le volant. Il avait l'impression d'avoir entendu un cri. Il suivait une ruelle obscure, vide. Au loin, des pointillés lumineux tapissaient les ténèbres. Les hublots du paquebot Ville de Tanger. D'un réverbère à l'autre des lueurs glissaient dans la voiture et sur ses mains avec une douceur d'algue. Il transpirait. Sale sueur de petit Arabe en fuite. Il se sentait la proie d'une hâte insupportable, il aurait pu vomir. Le détour qu'il avait fait ! Il s'était planté comme un bleu. Qu'est ce qu'il était allé merder sur l'autoroute ? Ça commençait bien. Et si ça merdait pour le bateau ? Si les dockers le balançaient aux flics ? A la mer ? Pas le moment de flipper. Il s'interdit d'accélérer, d'allumer la sono, de retourner chercher Léna. Bagnole volée, gonzesse volée, pognon volé, came volée. Petite raclure d'Arabe, petit taulard à vie, petit émigré sans feu ni lieu. La nuit lui sautait à la gueule avec ses flics..."

Edmond ROSTAND (1868-1918)



"C'est aujourd'hui jeudi. C'est le jour où Marseille

Tient ses marchés de fleurs.

C'est là que je serais, dans la tiédeur vermeil,

Au milieu des flâneurs,

Si je n'avais voulu, pour être ce poète

Que nul ne demandait,

Risquer d'être à Paris un Daniel Eyssette

Sans Alphonse Daudet;

Si je n'avais rêvé le vieux rêve inutile,

A tant d'autres pareils,

De me faire une place au soleil d'une ville

Qui n'a pas de soleil !

Elzéar Rougier (1857-1926)



(...)

"J'avais au cap d'Endoume un cabanon charmant;

Un soupçon d'ombre au plein d'un chaud rayonnement,

Et quel rayonnement ! l'incendie admirable

D'un pays de rochers presque nus où l'érable

Et le platane aux bras immensément ouverts,

Improvisent d'une oasis les charmes verts.

Maigres, jolis, criblés de cigales, deux bustes

De mûriers, sous le hâle, avaient poussé robustes;

Ils donnaient quelques fruits et formaient un pavois

Sous lequel nous chantions d'ivresse à pleine voix.

Deux conques murmuraient sous les mûriers sans cesse,

Dévidant en colliers des perles de princesse;

Autour de ces colliers, c'était l'agile essor

Des libellules, bruits somptueux d'ailes d'or,

Qui s'enfuyaient dans le tortil des vignes vierges;

Des nénuphars, liliacés comme des cierges,

Emergeaient de la conque, alourdis richement

D'une goutte métallisée en diamant.

On vivait là, par les mois chauds et les vacances;

On flânait là, sans peur, sous les magnificences

Des feux qui dévoraient la côte, car toujours

Un peu de brise errait, faite de frais velours.

Cette brise venait des calanques tranquilles

De Maldormé, d'Endoume et des prochaines îles.(...)"

George Sand (1804-1876)



"Marseille est une ville magnifique qui froisse et déplaît au premier abord par la rudesse de son climat et de ses habitants. On s'y fait pourtant, car le fond de ce climat est sain et le fond de ses habitants est bon. On comprend qu'on puisse s'habituer à la brutalité du mistral, aux colères de la mer, et aux ardeurs d'un implacable soleil, quand on trouva là, dans une cité opulente, toutes les ressources de la civilisation à tous les degrés où l'on peut de les procurer, et quand on parcourt cette Provence aussi étrange et aussi belle en bien des endroits que beaucoup d'endroits un peu trop vantés de l'Italie. "

de Scudery (1607-1701)



"D'un coté, l'on a le port et la ville de Marseille sous ses pieds, et si près que l'on entend les hautbois de vingt deux galères qui y sont; de l'autre, l'on découvre plus de douze mille bastides, pour parler en termes du pays; du troisième on voit les îles et la mer à perte de vue; et du quatrième sans rien voir de tout ce que je viens de dire, on n'aperçoit qu'un grand désert tout hérissé de pointes de rochers, et où la stérilité et la solitude sont aussi affreuses que l'abondance est agréable de tous les autres endroits."

Anna Seghers (1900-1983)



"Vingt minutes après je déambulais sur la Canebière, ma valise à la main. On est presque déçu par les rues dont on a beaucoup entendu parler. Moi non, je n'étais pas déçu. Je marchais avec la foule dans le vent qui jetait sur nous, par rafales rapides, lumières et ondées. Et cette légèreté qui me venait de la faim et de l'épuisement se mua en une légèreté sublime, magnifique, créée tout exprès pour ce vent qui m'emportait toujours plus vite jusqu'au bas de la rue.

Quand je compris que ce scintillement bleu, au bout de la Canebière, c'était déjà la mer, le Vieux Port, je ressentis enfin, pour la première fois après tant d'absurdités et de misères, le seul vrai bonheur qui reste accessible à chaque être, à chaque seconde : le bonheur de vivre."

Stendhal (1783 - 1842)



"Je me promène sur le magnifique quai, à droite de la Canebière, qui conduit à la Bourse, au fort Saint Jean et au bureau de la santé. Ce quai, assez large, est pavé de briques posées de champ, comme des V majuscules emboîtés les uns dans les autres. Là, on ne voit pas une figure triste. Ce quai est peuplé de matelots et de perroquets, et les beauprés des bâtiments arrivant d'Amérique viennent casser les vitres du premier étage des maisons."

Strabon (58 av - 21 ap JC)



"La ville de Massilia est une fondation phocéenne. Elle occupe un terrain rocheux et son port s'étale au pied d'une falaise en amphithéâtre orientée au sud et munie, comme la ville elle même, qui a des dimensions considérables, de solide remparts. Sur l'acropole s'élève l'Ephésium et le sanctuaire d' Apollon Delphinien. Le culte de cet Apollon est commun à tous les Ioniens, tandis que l'Ephésium est le temple de l'Artémis qu'on révère seulement à Ephèse."

André Suares (1868-1948)



"La mer, à Marseille, ne connait pas le flux ni le reflux, ou si peu que rien. Mais la libération des masses humaines n'a pas de moindres effets sur l'espèce que les balancements du satellite sur les fluides de la planète.

L'anarchie de Marseille est sa marée : le flot des races monte et, vague sur vague, il semble submerger la vieille Phocée.

En vain : l'antique et toujours jeune Marseille, repère femelle de joie et d'énergie, rétablit son ordre, reprend son équilibre : l'instinct de vivre est un jusant plus puissant que l'anarchie. Le fonds grec et provençal de ce peuple repousse les houles du chaos.(...) Nul peuple ne croit plus fortement à la vie."

Jules Supervielle (1884-1960)



"Marseille sortie de la mer, avec ses poissons de roche, ses coquillages et l'iode,

Et ses mâts en pleine ville qui disputent les passants,

Ses tramways avec leurs pattes de crustacés sont luisants d'eau marine,

Le beau rendez vous de vivants qui lèvent le bras comme pour se partager le ciel,

Et les cafés enfantent sur le trottoir hommes et femmes de maintenant avec leurs yeux de phosphore,

Leurs verres, leurs tasses, leurs seaux à glace et leurs alcools,

Et cela fait un bruit de pieds et de chaises frétillantes.

Ici le soleil pense tout haut, c'est une grande lumière qui se mêle à la conversation,

Et réjouit la gorge des femmes comme celle des torrents dans la montagne,

Il prend les nouveaux venus à partie, les bouscule un peu dans la rue,

Et les pousse sans un mot du coté des jolies filles.

Et la lune est un singe échappé au balluchon d'un marin

Qui vous regarde à travers les barreaux légers de la nuit.

Marseille, écoute moi, je t'en prie, sois attentive,

Je voudrais te prendre dans un coin, te parler avec douceur,

Reste donc un peu tranquille que nous regardions un peu

Ô toi toujours en partance

Et qui ne peut t'en aller,

A cause de toutes ces ancres qui te mordillent sous la mer."

Zola (1840-1902)



"La foule se tassait, se pressait de plus en plus; et il comprit que jamais il ne pourrait trouer ce mur formidable. Alors il se décida à tourner à la place Royale. Il descendit lentement la rue Vacon, prit la rue Beauvau, déboucha sur la Canebière. Là, un spectacle étrange l'attendait.

La Canebière, dans toute sa longueur, du port au cours Belsunce, était emplie d'une cohue immense qui augmentait à chaque minute. De chaque rue descendait des flots de peuple. Par instants, des souffles de colère couraient dans la foule, et alors des cris s'élevaient, s'étendaient par larges ondes, pareils aux grondements profonds de la mer. Toutes les fenêtres se garnissaient de spectateurs; des gamins étaient montés le long des maisons, s'accrochant aux devantures des boutiques. Marseille entier se trouvait là, et chaque curieux tournait avidement les yeux vers le même point. Il y avait sur la Canebière plus de soixante milles personnes qui regardaient et huaient.

Lorsque Marius eut réussi à s'approcher, il comprit enfin quel était le spectacle qui attirait et retenait la foule. Au milieu de la Canebière, en face de la place Royale, se dressait un échafaud fait de planches grossières. Sur cet échafaud, un homme était lié à un poteau. Deux compagnies d'infanterie, un piquet de gendarmerie et de chasseurs à cheval entouraient la plate-forme et défendaient le condamné contre l'irritation croissante du peuple."

Albert Cohen (1895-1981)

"Soudain je me rappelle notre arrivée à Marseille. J'avais cinq ans. En descendant du bateau, accroché à la jupe de Maman coiffée d'un canotier orné de cerises, je fus effrayé par les trams, ces voitures qui marchaient toutes seules. Je me rassurais en pensant qu'un cheval devait être caché dedans.

Nous ne connaissions personne à Marseille où, de notre île grecque de Corfou, nous avions débarqué comme en rêve, mon père, ma mère et moi. Pourquoi Marseille...? Le chef de l'expédition lui même n'en savait rien. Il avait entendu dire que Marseille était une grande ville. La première action d'éclat de mon pauvre père fut, quelques jours après notre arrivée, de se faire escroquer par un homme d'affaires tout blond et dont le nez n'était pas crochu. Je revois les parents qui pleuraient dans la chambre d'hôtel, assis sur le rebord du lit. Les larmes de Maman tombaient sur le canotiers à cerises, posé sur ses genoux. je pleurais aussi, sans comprendre ce qui était arrivé. (...)

J'avais quitté les petites rues et je flottais solitairement le long de la Canebière, me parlant à moi même, me donnant de courageux et sensés conseils, et me faisant des gestes de réconfort dans la large rue vivante en cet après midi ensoleillée, rue bruissante de grands cafés dont les terrasses absinthées fourmillaient de centaines qui gesticulaient avec bonheur et me considéraient malveillamment et échangeaient des sourires significatifs. Tous ils se retournaient et ils se signalaient les uns les autres que le Juif était là et gare, fermez vos portes à double tour ! Je reconnaissais tous ces gens, c'étaient ceux du camelot. Oh, qu'ils étaient heureux, ces méchants, oh, qu'ils étaient méchants, ces heureux ! ..."